De VELOX (1875-1914) à Esprit de Velox

Par Jacques Taglang, Mai 2021

« Dans l’histoire de la plaisance française, la goélette Velox ex-Zemajteij (1875-1914), reste un fabuleux exemple de création et de conception navale. Si le passionné devait exprimer la fascination que ce voilier exerce encore et toujours dans les esprits, ces quelques mots suffiraient à traduire son propos : Excellence, pertinence, innovation !

En 1875, et alors même que les yachts venus de Grande-Bretagne et des États-Unis séduisent tant les aficionados français, qui aurait pu se douter que Jacques Augustin Normand, patron du principal chantier naval du Havre, soit sollicité pour imaginer et construire ce croiseur de légende ?

Ce génie autodidacte de l’architecture navale, passionné de mathématiques et d’astronomie, curieux de tout ce qui touche au design et à la mise en œuvre des bateaux, conçoit un chef-d’œuvre pour le moins avant-gardiste. La coque de la goélette devient un compromis improbable, mais absolument innovant, mixant deux concepts opposés :

– Celui des carènes larges et plates des yachts américains surnommés « plats à barbe » (skimming dishes).
– Et celui des formes plus qu’étroites et lourdement lestées des voiliers britanniques appelées « couloirs lestés » (plank on edge).

VELOX - Collection du Musée National de la Marine
VELOX Goélette de plaisance, 1879 - Collection du Musée National de la Marine

Du jamais vu sur un bateau de cette taille, qui dès sa première sortie en avril 1876, impressionne les observateurs par ses pointes de vitesse stupéfiante : 16 nœuds, pas moins. Un comportement parfait : il préserve le bien-être des passagers qui peuvent pleinement profiter des aménagements intérieurs, pratiques et très confortables.

Au-delà, l’excellence et la modernité de sa construction déroutent : l’élaboration en triple bordage d’une coque de cette dimension (37,97 m à la flottaison — 42,27 m H. T.) reste une première. Ce bordage est réalisé en teck, riveté et collé (sur des membrures en chêne), formé de deux couches en diagonales et une longitudinale. Mieux ! Normand ne recule pas dans sa démarche d’innovation : il fixe un lest en plomb à l’extérieur sous la quille pesant 30 tonnes, ce qui complète le poids des gueuses intérieures.

Pour mouvoir un tel bâtiment — il déplace 336 tonneaux de jauge – point de moteur… à vapeur ou à pétrole. Velox restera une goélette à voile, jamais motorisée, de 1875 à 1914. Déjà à cette époque plane l’Esprit de Velox…

Sa mâture en bois porte au près (grand-voile, misaine, trinquette et petit foc) 690 m2, surface qui peut être augmentée (grand et petit flèches carrés, grand foc) et atteindre les 956 m2. Et lorsque le hunier et la fortune carrée sont établis, on dépasse les 1480 m2 !

En résumé, et pour revenir à la fascination de notre passionné du début, la conscience de Velox, ce bateau qui affiche avec près d’un demi-siècle d’avance un réel à-propos, poursuit son œuvre d’excellence, de pertinence, d’innovation. L’Esprit de Velox s’est fermement saisi du relais. »

Historien du yachting, Jacques Taglang est l’auteur avec François Chevalier de nombreux ouvrages de référence sur l’histoire du yachting international, dont une monographie consacré à Velox en 1993.

Velox et le Champagne par Marin Marie - Avec l'autorisation des ayants droits
Velox et le Champagne par Marin Marie - Avec l'autorisation des ayants droits